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Chroniques
tradition du concerto russe, épisode I
trois pianistes jouent Chostakovitch, Rimski-Korsakov et Rubinstein
C’est un plaisir des festivals non thématiques : les concerts se suivent et ne se ressemblent pas. Après l’hommage chambriste aux compositeurs de Bohême, proposé en fin d’après-midi par le Quatuor Zemlinsky [lire notre chronique du jour], l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon convie le public à une soirée célébrant la tradition russe du concerto, en compagnie de trois pianistes qui comme d’aucuns sans filet travaillent sans partition.
Une petite fantaisie ouvre d’abord le programme : Moz-Art à la Haydn (1977) pour orchestre à cordes, conçu par Alfred Schnittke (1934-1998) comme un « jeu avec la musique ». Plongée dans le noir, la salle résonne de petits couinements mêlés à des pizz’ plus graves, arrière-plan au double solo de violon qui va se mettre en place avec le retour de la lumière. Une ambiance mozartienne s’installe franchement, mélange de trituration, de pastiche et de citation – Symphonie en fa dièse mineur Hob.I.45 « Les adieux » (1772), du natif de Rohrau. Comme Carmen Suite (1967) de Chtchedrine donné ici-même l'an dernier [lire notre chronique du 18 février 2011], ces dix minutes sont d’un kitsch qui peut trouver preneur.
À contre-courant de l’expression nationale des Cinq, Anton Rubinstein (1829-1894) [photo] laisse cinq concerti pour piano au romantisme occidental aujourd’hui bien éclipsés, par ceux de Tchaïkovski et Rachmaninov notamment. Son Concerto en sol majeur Op.45 n°3 (1854) débute par un lyrisme de cordes auquel se mêle bien vite les arpèges du soliste. Malheureusement, ce Moderato assai se nimbe de brouillard, d’autant que la direction de Rossen Gerov s’avère d’une souplesse qui manque parfois d’arêtes, voire de mordant. Tant bien que mal, un climat doux-amer se repère, avant que le Moderato laisse place au recueillement. Un paysage étrange se dessine alors, d’une tendresse relativement tendue, qui intrigue et fascine. L’Allegro ma non troppo marque le retour des mains lourdes d’Alexander Ghindin, lequel profite en virtuose d’un orchestre qui reste discret depuis le mouvement médian. Pour remercier un public chaleureux, le Moscovite offre en bis le bondissant Trepiak, extrait du ballet-féérie Casse-Noisette (1892).
Répondant aux encouragements de Mili Balakirev – son professeur de composition, connu comme pilier du Groupe évoqué plus haut, ainsi que pour l’orientale fantaisie Islamey (1869) – et sous les auspices de Liszt auquel il le dédie, Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) termine le Concerto en ut dièse mineur Op.30 qui serait créé à Saint-Pétersbourg au début de l’année 1884, à l’époque où La Marine autorise son départ en retraite. Si l’œuvre n’est pas la plus marquante du créateur de Shéhérazade (1888), ses trois mouvements enchaînés témoignent d’un langage personnel et de la recherche d’un matériau coloré auxquels ne font pas honneur un orchestre qui manque de fluidité et d’allant. Pour sa part, Sergueï Babayan se montre délicat et nuancé, des qualités qui sublimeront l'Aria des Variations Goldberg lors d’un bis calme et droit, magnifique de dépouillement.
Grâce à la programmation d’un ultime opus, la soirée ne se dilue pas dans d’interminables changements de plateau [c’est la fin de saison ; pardonnez l’impatience du chroniqueur, ndr], et très rapidement nous entendons le Concerto en ut mineur Op.35 n°1 (1933) de Dmitri Chostakovitch (1906-1975), conçu pour piano et trompette, accompagné par un orchestre à cordes qui renvoie avec cohérence aux prémices du concert. Ici plus hargneux, Gergov aménage des contrastes avec ces mouvements d’une grande délicatesse, presque engourdis, qui voient le jeune Andreï Korobeinikov ciseler sa partie toute en retenue. La trompette de David Guerrier se révèle d’une rondeur sans agressivité. Nouveau bis, là encore, avec une reprise des dernières mesures de l’œuvre.
LB